La grille de métal se referma et vibra à la collision avec le sol. Olivia verrouilla à clé et s'éloigna de son entrepôt. Le ciel était couvert, mais le temps était agréable, ni trop froid ni trop chaud, si tant est que le Pays de Galles puissent connaître des chaleurs estivales supérieures à la moyenne... Il ne fallait pas rêver, c'était ce qui faisait le charme de cette île prestigieuse qu'était le Royaume-Uni. Elle ne portait qu'un simple haut bleu marine à manche trois quarts et une paire de jeans. Son sac sur l'épaule droite, elle prit le chemin du retour vers son appartement en centre-ville. Sa mère lui avait déjà laissé trois messages, l'invitant à venir dîner qu'elle avait des invités et que sa présence serait la bienvenue, ne serait-ce que pour s'occuper de Milo si elle n'était pas intéressée par le jeune, beau et riche prétendant auquel elle voulait la présenter. Seulement Olivia se savait déjà peu intéressée par cet homme avant même d'avoir posé les yeux sur lui mais avait tout de même accepté -pas besoin de cuisiner ce soir, c'était un atout non négligeable-. Même si elle n'aimait pas être seule, ses entrevues nocturnes occasionnelles avec la gente masculine lui convenait tout à fait. Pas d'engagement, pas d'histoire. Elle avait assez payé, assez perdu de temps avec un homme du même genre que ce prétendant et cette histoire avait eu sa peau. Elle avait perdu près de huit kilos en quatre ans, elle avait conservé ses formes mais ses bras et son ventre avaient fondu comme du beurre au soleil, elle semblait fragile. Fragile et paumée c'était ce qu'elle était de toute manière. Son poids elle s'en fichait pas mal les hommes qui avaient couché avec elle n'avaient pas eu l'air de s'en plaindre après tout. Marged Reynolds lui disait qu'elle était squelettique et qu'elle ne trouverait probablement pas un mari dans son état morose et des kilos en moins. Sa mère ne devait pas réfléchir assez parfois mais à l'époque où le patriarche était encore là ce genre de réflexion était atténué par des rires à pleins poumons de cet homme qui tentait toujours d'apaiser les tensions entre son épouse et leurs filles. De longues minutes plus tard, elle était arrivée devant l'immeuble, qu'elle habitait depuis son retour définitif à Caerphilly, dans le centre-ville, assez loin de la matriarche Reynolds, assez près pour voir Milo et de son lieu de travail, enfin ses lieux puisque la belle en cumulait deux... histoire de ne pas être trop dans ses vingt huit mètre carré à ressasser le passé et les idées noires. Quand elle passa la porte d'entrée, elle aperçut la porte de l'ascenseur prête à se refermer. En deux enjambées, elle put mettre la main et déclencher la réouverture de la porte. Elle souffla, aucune envie de monter les escaliers après sa petite promenade. Elle s'inséra dans l'habitacle, où se trouvait une de ses voisines. Une voisine oui... Olivia se souvenait à peine de leur première rencontre... il devait y avoir quelques mois de ça, peut-être deux... La jeune blonde emménageait, Olivia n'avait même pas pris la peine de la saluer ou de lui proposer son aide... C'était ainsi quand elle était dans une mauvaise passe. La suite fut une succession de rencontre dans les escaliers, l'ascenseur, devant les boites aux lettres. La timidité avait pris le dessus, ainsi que les premières impressions. "Bonjour." Souffla-t-elle doucement. Cette rencontre était probablement l'occasion de briser un peu la glace même quelques semaines plus tard... Elle s'était légèrement tournée pour lui lancer un faible sourire, les mains dans les poches. Le belle blonde devait avoir une vingtaine d'années peut-être et elle portait une pochette à dessin. Alors que la galloise allait lui demander comment elle allait. Les lumières s’éteignirent et l'ascenseur s'immobilisa. La lumière revint quelques fractions de seconde plus tard mais le monte charge était vraisemblablement figé. "Super. Il ne manquait plus que ça."

 

Voilà que le jour où elle décidait de prendre l’ascenseur, fait rare car s’entraînant tous les jours monter quelques étages à pied ne lui faisait absolument pas peur et justement commençait l’échauffement et l’étirement après l’effort. Sa flemmardise, aussi rare qu’elle pouvait être, finirait pas lui faire défaut. Elle soupira, nerveuse à l’avance de la longueur que ça allait prendre avant qu’elles ne puissent sortir d’ici. La blonde qui l’accompagnait avait déjà appuyé sur le bouton d’alarme pour alerter la maintenance qu’elles étaient coincées dans le monte-charge. Bizarrement Olivia ne fut pas étonnée que personne ne réponde immédiatement.  Ca avait été la première réflexion de sa mère quand elle était venue visiter l’appartement de sa fille aînée « Est-ce que cet ascenseur est sur au moins ? Il n’a pas vraiment l’air en bon état... » Qu’elle avait dit d’un ton septique alors qu’elles attendaient toutes les deux que les portes s’ouvrent. Effectivement, ce jour là l’ascenseur était tombé en panne et même sa mère avait dû porter quelques cartons jusqu’à l’appartement. Olivia n’aimait pas donner raison à sa mère et avait préféré ignorer ses critiques et ses lancées verbales tout le reste de la journée quant à la qualité de l’immeuble et de son appartement. Après tout tant que ça lui convenait à elle, n’était-ce pas l’essentiel ?

Olivia lança un sourire fragile à sa partenaire alors que cette dernière lui disait qu’elle aurait aimé faire sa connaissance dans d’autres circonstances. Bah au moins, la jeune femme ne semblait pas rancunière face à l’ignorance dont Olivia avait fait preuve la première fois qu’elles s’étaient croisées. De toutes manières, les deux jeunes femmes n’auraient pas d’autres occupations que de se parler, faire connaissance était sans aucun doute beaucoup plus intéressant que de rester muettes chacune dans un coin opposé de l’ascenseur. "Olivia, j’habite au quatrième."  Olivia avait beau parler facilement aux gens et être une personne sociable, elle doutait énormément d’elle. La timidité n’était pas forcément un de ses défauts principaux mais elle se posait toujours six milles questions avant d’engager une conversation. Allait-elle déranger ? Est-ce que le sujet qu’elle venait de lancer était assez intéressant ? Ou au contraire pas du tout et dans ce cas que penserait son interlocuteur ? Qu’elle était nulle, pas intéressante ? Olivia se fatiguait toute seule avec ses questions. Avant elle n’avait jamais été ainsi. Jusqu’à il y a quatre ans, elle était toujours la première à lancer les conversations, les débats, les invitations à déjeuner, à organiser des réceptions. Elle avait toujours été entreprenante, confiante et ouverte sur les autres. Puis un jour.... pouf ! Sa confiance en elle s’était volatilisée laissant à la place une petite fille apeurée, peu sure d’elle et timide. Ca avait demandé un peu de temps avant qu’elle ne puisse arriver à devenir deux personnes : la jeune femme réservée, la femme fatale. Mais jamais elle n’avait retrouvé l’équilibre qu’elle avait eu auparavant, elle avait en elle deux extrêmes. "C’est certain qu’il y avait de meilleures façons de se rencontrer... mais on se croise pas si souvent alors ça fait une occasion."  Même si elle aurait préféré ne pas se retrouver dans un habitacle de deux mètres sur deux mètres. "Vous dessinez ?"  Alors oui c’était plutôt direct, mais en même temps c’était son domaine l’art... et au lieu de parler du temps qu’il faisait dehors, de la voisine qui tape constamment avec son balai au plafond pensant entendre des bruits constants dans l’appartement du dessus, du voisin qui adore s’exhiber sans sous vêtement au deuxième, parler de la pochette à dessins que tenait la blondinette semblait bien plus intéressant.