Fourteen.Dans votre vie, certaines personnes passent et repassent sans vraiment s’arrêter. D’autres décident de camper dans votre cœur jusqu’à la fin et d’autres encore disparaissent alors qu’ils avaient promis de rester. Dans votre vie, vous rencontrerez des gens tout le temps, mais vous ne savez pas qui vous rendra meilleur ou qui vous enfoncera. Et bordel, des gens qui t’enfoncent, t’en as vu plein, mais jamais des comme lui.
« Tu veux ? » Tu regardes la clope qu’on te tend. T’hésites à peine une demi seconde avant de la saisir. T’aspires et avant même que t’aies pu souffler la fumée, tu t’étouffes. Tu tousses à t’en arracher les poumons. Le jeune homme a l’air de trouver ça drôle et t’assures que tu t’amélioreras avec le temps. C’est un nouvel élève. Tu te souviens pas de son prénom, mais tu sais qu'il est assis derrière toi en math. Tu sais pas pourquoi il vient te parler. Tu t'en fous un peu au fond. Un peu de compagnie ça peut pas te tuer, surtout ces derniers temps. Les gens te fuient comme la peste. Ils savent. La nouvelle s'est propagée d'une rapidité que t'aurais jamais imaginée. Peu à peu, les couloirs de l'école se taisaient sur ton passage, personne ne disait rien, les yeux se baissaient et toi, t'avançais timidement, les yeux rivés sur tes chaussures. T'osais pas affronter leur regard, mais t'entendais bien leurs remarques une fois que tu avais le dos tourné :
« Regarde, c'est celle qui a tenté de se suicider l'été passé ! » Tu détestes. T'as horreur qu'on te catégorise comme ça. Ils te connaissent pas, putain. Aucun d'eux n'est au courant. Ils ont tous des vies parfaites sans soucis et toi, t'es là, dans ta merde. Rien que d'y penser, ça t'énerve. T'écrases le mégot de clope comme si c'était un de tes camarades de classe. Tu lâches un soupir satisfait, rien que ça, ça fait du bien.
« Bon, tu viens ? » Tu relèves la tête. Sans faire exprès, tu te noies dans ses yeux. Wow. Ils sont beaux. Jamais t'as vu des yeux comme les siens. Ils sont tellement ... T'as pas de mots pour les décrire, mais tu pourrais en parler toute une journée. Une voix masculine te ramène sur Terre.
« Alors ? » Il te tend la main. Un petit sourire plaqué sur les lèvres, tu n'hésites plus, tu la saisis. Vous vous mettez en marche, main dans la main. Où vous allez ? Tu sais pas. Ce que vous allez faire ? Tu sais pas. Quand est-ce que tu vas rentrer ? Tu sais pas. Ce que tu sais c'est qu'il est nouveau et qu'il te fait sentir nouvelle. Pas de préjugés, pas de questions inutiles. Vous êtes là, vous existez, vous êtes vivants et c'est tout ce qui compte. Un petit rire quitte la barrière de tes lèvres pour s'envoler dans l'air frais de ce début de soirée printanier. Il te regarde.
« Pourquoi tu ris ? » Tu hausses les épaules, il a pas besoin de savoir maintenant. Il a pas besoin de savoir tout court. De toute façon, vous vous connaissez à peine, t'as pas envie de le faire fuir.
« Rien, t'as l'air sympa, c'est tout. » Il te retourne ton sourire.
« Allez, viens, je vais te faire tester un truc, tu vas adorer ! » Tu comprends pas pourquoi il est venu vers toi. Tu comprends pas pourquoi il est aussi gentil. Tu comprends pas pourquoi il te fait sentir comme ça alors que tu le connais pas du tout. Mais tu t'en fous, t'aimes bien. T'aimes trop.
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« Kian, putain, tu fais chier ! » Les bras croisés sur ta poitrine, tu le regardes. Il est affalé sur son canapé. Il rigole. Il en a strictement rien à foutre de ce que tu racontes.
« Merde, Kian ! T'as fumé le stick tout seul et tu fais même pas attention ça ce que j'te raconte. » Tu lui donnes un coup de pied. Il rigole de plus belle. Tu devrais pas, parce que c'est con, mais t'es vexée. Vexée qu'il t'ait pas attendue pour le fumer ce putain de joint, t'en aurais bien eu besoin en plus. Ce petit con, toujours à profiter quand t'es pas là. Tu tournes les talons et tu sors du salon du jeune homme. C'était toujours pareil avec lui, merde. T'entends sa voix t'appeler de la pièce où tu te trouvais quelques secondes auparavant. Tu te stoppes net. T'entends ses pas derrière toi. Tu ne prends pas la peine te retourner. Tu lui en veux, c'est toujours la même chose avec lui. T'en as assez.
« Kara-Karibou, me fais pas la tête comme ça. » Tu sens ses bras enlacer ta taille, sa tête se poser sur ton épaule. Tu peux pas t'en empêcher de sourire. Kian, tu peux pas lui en vouloir bien longtemps. Kian, il a ce pouvoir magique, il peut te rendre aussi molle que de la guimauve en moins de trente secondes. Tu sens son souffle sur ta peau. Tu sens ton estomac se remplir de papillon. T'es nerveuse, il te rend nerveuse et bordel, t'adores ça. Vous restez comme ça pendant un petit moment, sachant que tout a déjà été oublié.
« Allez viens, j'ai encore de quoi rouler, tu vas adorer. » Il te fait tourner pour que tu te retrouves face à son beau visage. Tu sombres dans ses yeux. T'y touches le fond. T'aimes et tu détestes l'effet qu'il peut avoir sur toi. Tu te sens tellement faible, tellement vulnérable, ça en devient pathétique. Son visage près du tien, son souffle sur ta joue, son regard sur tes lèvres et la dernière chose dont tu te souviens, c'est de ses lèvres sur les tiennes. Tout est oublié. Tout est pardonné. Y a plus que vous. Rien que vous.
Fifteen.On pense toujours accorder sa confiance aux bonnes personnes, aux personnes qui le méritent et qui ne nous blesseront pas. On est naïf, niais et crédule. On fait confiance trop rapidement. Et le jour où on reçoit un couteau dans le dos, on est surpris parce qu'on s'y attendait pas alors que tous les signes étaient là. T'es pas surhumaine, t'es tombée dans le panneau aussi. T'aurais dû le voir venir, t'aurais dû le sentir qu'il allait te détruire. Putain, t'es trop conne.
Il fait nuit, tout le monde dort à la maison. Personne ne se doute de ce que tu veux faire, surtout pas ton père. Tu bouges pas. Du coin de la pièce, tu le regardes simplement fourrer tout un tas de trucs dans son sac à dos préféré. Il enjambe la fenêtre de ta chambre. Tu le regardes faire, sans rien dire. Il te dit rien. Tu peux pas rester là sans rien faire, merde. Tu le retiens doucement par le bras. Non, il peut pas partir comme ça. Il pose son regard sur toi. Il connaît déjà ta réponse, mais il préfère quand même te le demander encore une fois.
« Tu viens avec moi ou tu restes ici putain ? » Assis sur le rebord, une jambe dedans, une jambe dehors, il te tend la main. Ce geste. C'est comme pour votre première rencontre. Ce geste qui t'avait tellement mise à ton aise à l'époque te fait peur aujourd'hui. T'as un mouvement de recul. Il attend que ça, que tu sortes avec lui de cette vie si banale, si pourrie et que vous viviez au jour le jour comme des crétins, des crétins amoureux. Pourtant, il le voit bien que t'hésites, que tu n'as pas vraiment envie. Et d'un côté, tu t'en fous, il a qu'à partir. De l'autre, ça te tue. Ça le tue.
« Kian, on peut pas tout quitter comme ça. T'es dingue, t'es pas bien dans ta tête. Reste ici. Reste avec moi. » Il baisse la tête, soupire et ferme les yeux quelques instants. Il a l'air tellement désespéré que ton cœur a eu un raté, t'as presque envie de lui dire oui, de partir avec lui et de ne plus te retourner. Le truc, c'est que tu sais pas, tu peux pas, t'y arrives pas.
« J'peux pas. Tu comprends pas ? J'peux pas, Kara. » Il soupire encore une fois.
« C'est trop facile ici, j'ai besoin d'aventure. » Tu arques un sourcil. Tu le jauges du regard et lui réponds sur un ton agressif :
« Trop facile ? Mais putain, de quoi tu me parles Kian ?! » Il baisse les yeux vers le sol, déçu. Ton regard se pose sur le balancement léger d'avant en arrière de sa jambe qui se trouve à l'intérieur.
« Tu comprends pas. Tu comprendras jamais. » Son regard se pose sur toi. Il est vif et plus que jamais déterminé.
« T'es trop coincé dans ta petite vie et tes petites habitudes, princesse. » Son ton est sec et transperces ton cœur d'un coup violent. T’entrouvres la bouchée, déboussolée. Ses paroles sont blessantes. C'est donc ça qu'il pense de toi ? Que t'es trop coincée ? Tu fronces les sourcils. Tu comprends pas. Il ne peut pas simplement te balancer ça et partir comme si de rien n'était.
« J'pensais qu'on était amis. » Il soupire encore une fois. T'as juste l'impression de lui faire chier, de vous faire perdre du temps autant à toi qu'à lui.
« J'pensais aussi. » C'est un murmure presque inaudible si tu n'avais pas tendu l'oreille.
« Alors pourquoi tu pars putain ?! » Merde, Kian. Pourquoi tu me fais ça ?
« J'en ai besoin. » Il a les yeux baissés vers la rue. Tu sais pas si c'est pour ne pas affronter ton regard ou s'il n'en a juste rien à foutre de toi. Dans les deux cas, tu te sens vulnérable. Et stupide aussi. T'y as cru. T'y as cru à ses belles paroles. T'y as cru quand il t'a dit qu'il était là et qu'il le serait toujours. T'y as cru quand il t'a dit que c'était lui le héros que t'attendais.
« Et moi, j'ai besoin de toi. » Tu baisses les yeux à ton tour. Tu le connais trop bien. Tu sais ce qu'il va faire. T'essaies de maîtriser ton menton qui tremble.
Putain, t'es faible, Kara, t'es tellement faible.
« Au revoir. » Et tu l'entends sauter dans l'arbre en face de ta fenêtre. Au revoir. C'est la dernière chose que ton héros a dit avant de disparaître dans l'horizon de la nuit. Tu maîtrises plus rien. Ton menton tremble. Tu larmes coules. Puis une autre. Tes jambes ne supportent plus ton poids. Tu glisses sur ton parquet. Et d'un coup, ton cœur est comme ta chambre. Froid, vide et sans vie.
+
Encore fermées, tu peux sentir le soleil sur tes paupières. T'oses pas ouvrir les yeux. T'as mal au cou, t'es encore habillée et ton matelas d'habitude si doux et souple a été dur et froid cette nuit. T'as dormi sur ton paquet. Tu te redresses lentement en position assise. Les idées un peu floues, tu remets rapidement le tout en place quand tu vois le désordre de ta chambre. Il est parti. Il t'a rien dit. Il t'a abandonné. C'est le deuxième. T'imagines même pas qui sera la suivante. Parce que jamais deux sans trois, pas vrai ? D'un mouvement rapide, tu t'attaches les cheveux. T'en as assez de te faire marcher dessus. T'en as assez d'être faible. Merde, Kara, ressaisis-toi, tu vaux mieux que ça. Tu te relèves. Tu te fait craquer les doigts. C'est parti. C'est le début de la fin. Tu regardes les photos accrochées au mur. D'un coup sec, tu les arraches. Tous ses souvenirs finissent déchirés et froissés sur le sol. Kian ? Tu connais pas, il existe plus.